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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:10
Le charlatan
Le monde n’a jamais manqué de charlatans:
Cette science, de tout temps,
Fut en professeurs très fertile.
Tantôt l’un en théâtre affronte l’Achéron;
Et l’autre affiche par la ville
Qu’il est un passe-Cicéron.
un des derniers se vantait d’être
En éloquence si grand maître,
Qu’il rendrait disert un badaud,
Un manant, un rustre, un lourdaud;
Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne
Que l’on m’amène un âne, un âne renforcé,
Je le rendrai maître passé,
Et veux qu’il porte la soutane.
Le prince sut la chose; il manda le rhéteur.
J’ai, dit-il, en mon écurie
Un fort beau roussin d’Arcadie;
J’en voudrais faire un orateur.
Sire, vous pouvez tout, reprit d’abord notre homme.
On lui donna certaine somme.
Il devait au bout de dix ans
Mettre son âne sur les bancs;
Sinon il consentait d’être en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa rhétorique,
Et les oreilles d’un baudet.
Quelqu’un des courtisans lui dit qu’à la potence
Il voulait l’aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance:
Surtout qu’il se souvînt de faire à l’assistance
Un discours ou son art fût au long étendu;
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servit à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L’autre reprit: Avant l’affaire,
Le roi, l’âne, ou moi, nous mourrons.
Il avait raison. C’est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants,
Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans.
Fable de Jean de la Fontaine
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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:11
Un malheureux appelait tous les jours
la mort à son secours.
O Mort! lui disait-il, que tu me sembles belle!
Viens vite! viens finir ma fortune cruelle!
La mort crut, en venant, l’obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-til: ôtez-moi cet objet!
qu’il est hideux! que sa rencontre
Me cause d’horreur et d’effroi!
N’approche pas, ô mort! ô mort, retire toi!
Mécénas fut un galant homme:
Il a dit quelque part: qu’on me rende impotent,
cul-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme je vive,
C’est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t’en dit tout autant.
( Ce sujet a été traité d’une autre façon par Esope, comme la fable suivante le fera voir.
Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignait de rendre la chose ainsi générale.
Mais quelqu’un me fit connaître que j’eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et
que je laissais passer un des plus beaux traits qui fût dans Esope.
cela m’obligea d’y avoir recours.
nous ne saurions aller plus avant que les anciens: ils ne nous ont laissé pour notre part que
la gloire de les bien suivre.
je joins toutefois ma fable à celle d’Esope, non que la mienne le mérite,
mais à cause du mot de Mécénas que
j’y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n’ai pas cru le devoir omettre.
Fable de
Jean de la Fontaine
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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:12Un loup disait que l’on l’avait volé:
Un renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé,
Non point par avocats, mais par chaque partie.
Thémis n’avait point travaillé,
De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suait en son lit de justice.
Après qu’on eut bien contesté,
répliqué; crié; tempêté,
Le juge, instruit de leur malice,
Leur dit: Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous deux vous paierez l’amende:
Car toi, loup, tu te plains, quoiqu’on t’ait pris,
Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande.
Le juge prétendait qu’à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant un pervers.
( Note de la fontaine)
Quelques personnes de bon sens ont cru que l’impossibilité
et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe
était une chose à censurer: mais je ne m’en suis servi qu’après
que Phèdre; et c’est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.
Fable de Jean de la Fontaine
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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:14
Ce loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
Il y périt. Voici l’ histoire:
Un villageois avait à l’écart son logis.
Messer loup attendait chape-chute à la porte:
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
Veaux de lait, agneaux et brebis,
Régiments de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençait pourtant à s’ennuyer.
Il entend un enfant crier:
La mère aussitôt le gourmande,Le menace, s’il ne se tait,
De le donner au loup. L’animal se teint prêt,
Remerciant les dieux d’une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,Lui dit: Ne criez point; s’il vient nous le tuerons.
Qu’est ceci? s’écria le mangeur de moutons:
Dire d’un, puis d’un autre! Est-ainsi que l’on traite
Les gens faits comme moi? Me prend-on pour un sot?
Que quelque jour ce beau marmot
Vienne au bois cueillir la noisette…
Comme il disait ces mots, on sort de la maison:
Un chien de cour l’arrête: épieux et fourches-fières
L’ajustent de toutes manières.
Que veniez-vous chercher en ces lieux? lui dit-on.
Aussitôt il conta l’affaire.
Merci de moi! lui dit la mère;
Tu mangeras mon fils! L’ai-je fait à dessin
Qu’il assouvisse un jour ta faim?On assomma la pauvre bête.
Un manant lui coupa le pied droit et la tête:
Le seigneur du village à sa porte les mit;
Et ce dicton picard à l’entour fut écrit:
Biaux chires loups, n’écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crit.
( Beaux sires loups, n’écoutez pas mère tançant ( grondant) son fils qui crie.
Chape-chute ou chape= ( riche vêtement écclésiastique)
Jean de la Fontaine.
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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:16
Le Phaéton d’une voiture à foin
Vit son char embourbé.
Le pauvre homme était loin de tout humain secours:
C’était à la campagne,
Près d’un certain canton de la Basse-Bretagne,
Appelé Quimper-Corentin.
On sait assez que le destin
Adresse là les gens quand il veut qu’on enrage.
Dieu nous préserve du voyage!
Pour venir au charretier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant, en sa fureur extrême,
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux.
Contre son char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monse:
Hercule, lui dit-il, aide moi; si ton dos
A porté la machine ronde,
Ton bras peut me tirer d’ici.
Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi:
Hercule veut qu’on se remue,
Puis il aide les gens. Regarde d’ou provient
L’achoppement qui te retient;
Ote d’autour de chaque roue
Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu’à l’essieu les enduit;
Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait? Oui dit l’homme.
Or bien je vas t’aider, dit la voix; prends ton fouet.
Je l’ai pris… Qu’est ceci? Mon char marche à souhait!
Hercule en soit loué! Lors la voix: Tu vois comme
tes chevaux aisément se sont tirés de là.
Aide toi ,le ciel t’aidera.
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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:17
Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras,
Montés sur même char, s’en allaient à la foire.
Leur divertissement ne les y portait pas;
On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire:
Le charton n’avait pas dessein
De les mener voir Tabarin.
Dom pourceau criait en chemin
Comme s’il avait eu cent bouchers à ses trousses:
C’était une clameur à rendre les gens sourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le charton dit au porc: Qu’as-tu tant à te plaindre?
Tu nous étourdis tous: que ne te tiens tu coi?
Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,
Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire:
Regarde ce mouton; a-t-il dit un seul mot?
Il est sage-Il est un sot,
Repartit le cochon: S’il savait son affaire,
Il crierait ,comme moi, du haut de son gosier;
Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La chèvre de son lait, le mouton de sa laine;
Je ne sais pas s’ils ont raison;
Mais quand à moi, qui ne suit bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.
Dom pourceau raisonnait en subtil personnage:
Mais que lui servait-il? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin:
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.
charton=charretier
dom=seigneur pourceau
Tabarin= bouffon du théâtre de Mondor sur la place du Pont-Neuf, au 17è siècle
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Par osebo-moaka le 20 Décembre 2018 à 11:18
Chacun se trompe ici-bas:
On voit courir après l’ombre
Tant de fous, qu’on n’en sait pas,
La plupart du temps, le nombre.
Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.
Ce chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer.
La rivière devint tout d’un coup agitée;
A toute peine il regagna les bords,
Et n’eut ni l’ombre ni le corps.
Jean de la Fontaine
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