• Le charlatan

    Le monde n’a jamais manqué de charlatans:
    Cette science, de tout temps,
    Fut en professeurs très fertile.
    Tantôt l’un en théâtre affronte l’Achéron;
    Et l’autre affiche par la ville
    Qu’il est un passe-Cicéron.
    un des derniers se vantait d’être
    En éloquence si grand maître,
    Qu’il rendrait disert un badaud,
    Un manant, un rustre, un lourdaud;
    Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne
    Que l’on m’amène un âne, un âne renforcé,
    Je le rendrai maître passé,
    Et veux qu’il porte la soutane.
    Le prince sut la chose; il manda le rhéteur.
    J’ai, dit-il, en mon écurie
    Un fort beau roussin d’Arcadie;
    J’en voudrais faire un orateur.
    Sire, vous pouvez tout, reprit d’abord notre homme.
    On lui donna certaine somme.
    Il devait au bout de dix ans
    Mettre son âne sur les bancs;
    Sinon il consentait d’être en place publique
    Guindé la hart au col, étranglé court et net,
    Ayant au dos sa rhétorique,
    Et les oreilles d’un baudet.
    Quelqu’un des courtisans lui dit qu’à la potence
    Il voulait l’aller voir, et que, pour un pendu,
    Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance:
    Surtout qu’il se souvînt de faire à l’assistance
    Un discours ou son art fût au long étendu;
    Un discours pathétique, et dont le formulaire
    Servit à certains Cicérons
    Vulgairement nommés larrons.
    L’autre reprit: Avant l’affaire,
    Le roi, l’âne, ou moi, nous mourrons.
    Il avait raison. C’est folie
    De compter sur dix ans de vie.
    Soyons bien buvants, bien mangeants,
    Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans.
    emoticone

    Fable de Jean de la Fontaine

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  • Un malheureux appelait tous les jours
    la mort à son secours.
    O Mort!  lui disait-il, que tu me sembles belle!
    Viens vite! viens finir ma fortune cruelle!


    La mort crut, en venant, l’obliger en effet.

    Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
    Que vois-je! cria-t-til: ôtez-moi cet objet!
    qu’il est hideux! que sa rencontre


    Me cause d’horreur et d’effroi!

    N’approche pas, ô mort! ô mort, retire toi!
    Mécénas fut un galant homme:
    Il a dit quelque part: qu’on me rende impotent,
    cul-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme je vive,


    C’est assez, je suis plus que content.

    Ne viens jamais, ô Mort! on t’en dit tout autant.
    ( Ce sujet a été traité d’une autre façon par Esope, comme la fable suivante le fera voir.
    Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignait de rendre la chose ainsi générale.


    Mais quelqu’un me fit connaître que j’eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et

    que je laissais passer un des plus beaux traits qui fût dans Esope.
    cela m’obligea d’y avoir recours.
    nous ne saurions aller plus avant que les anciens: ils ne nous ont laissé pour notre part que
    la gloire de les bien suivre.

    je joins toutefois ma fable à celle d’Esope, non que la mienne le mérite,
    mais à cause du mot de Mécénas que

    j’y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n’ai pas cru le devoir omettre.
    Fable de
    Jean de la Fontaine

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  • Un loup disait que l’on l’avait volé:
    Un renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
    pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
    Devant le singe il fut plaidé,
    Non point par avocats, mais par chaque partie.
    Thémis n’avait point travaillé,
    De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
    Le magistrat suait en son lit de justice.
    Après qu’on eut bien contesté,
    répliqué; crié; tempêté,
    Le juge, instruit de leur malice,
    Leur dit: Je vous connais de longtemps, mes amis,
    Et tous deux vous paierez l’amende:
    Car toi, loup, tu te plains, quoiqu’on t’ait pris,
    Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande.
    Le juge prétendait qu’à tort et à travers
    On ne saurait manquer, condamnant un pervers.
    ( Note de la fontaine)
    Quelques personnes de bon sens ont cru que l’impossibilité
    et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe
    était une chose à censurer: mais je ne m’en suis servi qu’après
    que Phèdre; et c’est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.
    Fable de Jean de la Fontaine
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  • Ce loup me remet en mémoire
    Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
    Il y périt. Voici l’ histoire:



    Un villageois avait à l’écart son logis.
    Messer loup attendait chape-chute à la porte:
    Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
    Veaux de lait, agneaux et brebis,



    Régiments de dindons, enfin bonne provende.
    Le larron commençait pourtant à s’ennuyer.
    Il entend un enfant crier:
    La mère aussitôt le gourmande,

    Le menace, s’il ne se tait,
    De le donner au loup. L’animal se teint  prêt,
    Remerciant les dieux d’une telle aventure,
    Quand la mère, apaisant sa chère géniture,


    Lui dit: Ne criez point; s’il vient nous le tuerons.
    Qu’est ceci? s’écria le mangeur de moutons:
    Dire d’un, puis d’un autre! Est-ainsi que l’on traite
    Les gens faits comme moi? Me prend-on pour un sot?



    Que quelque jour ce beau marmot
    Vienne au bois cueillir la noisette…
    Comme il disait ces mots, on sort de la maison:
    Un chien de cour l’arrête: épieux et fourches-fières
    L’ajustent de toutes manières.



    Que veniez-vous chercher en ces lieux? lui dit-on.
    Aussitôt il conta l’affaire.
    Merci de moi! lui dit la mère;
    Tu mangeras mon fils! L’ai-je fait à dessin
    Qu’il assouvisse un jour ta faim?


    On assomma la pauvre bête.
    Un manant lui coupa le pied droit et la tête:
    Le seigneur du village à sa porte les mit;
    Et ce dicton picard à l’entour fut écrit:


    Biaux chires loups, n’écoutez mie
    Mère tenchent chen fieux qui crit.
    ( Beaux sires loups, n’écoutez pas mère tançant ( grondant) son fils qui crie.
    Chape-chute ou chape= ( riche vêtement écclésiastique)
    Jean de la Fontaine.

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  • Le Phaéton d’une voiture à foin
    Vit son char embourbé.
    Le pauvre homme était loin de tout humain secours:
    C’était à la campagne,
    Près d’un certain canton de la Basse-Bretagne,
    Appelé Quimper-Corentin.
    On sait assez que le destin
    Adresse là les gens quand il veut qu’on enrage.
    Dieu nous préserve du voyage!
    Pour venir au charretier embourbé dans ces lieux,
    Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
    Pestant, en sa fureur extrême,
    Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux.
    Contre son char, contre lui-même.
    Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
    Sont si célèbres dans le monse:
    Hercule, lui dit-il, aide moi; si ton dos
    A porté la machine ronde,
    Ton bras peut me tirer d’ici.
    Sa prière étant faite, il entend dans la nue
    Une voix qui lui parle ainsi:
    Hercule veut qu’on se remue,
    Puis il aide les gens. Regarde d’ou provient
    L’achoppement qui te retient;
    Ote d’autour de chaque roue
    Ce malheureux mortier, cette maudite boue
    Qui jusqu’à l’essieu les enduit;
    Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
    Comble-moi cette ornière. As-tu fait? Oui dit l’homme.
    Or bien je vas t’aider, dit la voix; prends ton fouet.
    Je l’ai pris… Qu’est ceci? Mon char marche à souhait!
    Hercule en soit loué! Lors la voix: Tu vois comme
    tes chevaux aisément se sont tirés de là.
    Aide toi ,le ciel t’aidera.

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  • Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras,
    Montés sur même char, s’en allaient à la foire.
    Leur divertissement ne les y portait pas;
    On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire:
    Le charton n’avait pas dessein
    De les mener voir Tabarin.
    Dom pourceau criait en chemin
    Comme s’il avait eu cent bouchers à ses trousses:
    C’était une clameur à rendre les gens sourds.
    Les autres animaux, créatures plus douces,
    Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours;
    Ils ne voyaient nul mal à craindre.
    Le charton dit au porc: Qu’as-tu tant à te plaindre?
    Tu nous étourdis tous: que ne te tiens tu coi?
    Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,
    Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire:
    Regarde ce mouton; a-t-il dit un seul mot?
    Il est sage-Il est un sot,
    Repartit le cochon: S’il savait son affaire,
    Il crierait ,comme moi, du haut de son gosier;
    Et cette autre personne honnête
    Crierait tout du haut de sa tête.
    Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
    La chèvre de son lait, le mouton de sa laine;
    Je ne sais pas s’ils ont raison;
    Mais quand à moi, qui ne suit bon
    Qu’à manger, ma mort est certaine.
    Adieu mon toit et ma maison.
    Dom pourceau raisonnait en subtil personnage:
    Mais que lui servait-il? Quand le mal est certain,
    La plainte ni la peur ne changent le destin:
    Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.
     


    charton=charretier

    dom=seigneur pourceau
    Tabarin= bouffon du théâtre de Mondor sur la place du Pont-Neuf, au 17è siècle

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  • Chacun se trompe ici-bas:

    On voit courir après l’ombre
    Tant de fous, qu’on n’en sait pas,
    La plupart du temps, le nombre.
    Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.
    Ce chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
    La quitta pour l’image, et pensa se noyer.
    La rivière devint tout d’un coup agitée;
    A toute peine il regagna les bords,
    Et n’eut ni l’ombre ni le corps.
    Jean de la Fontaine

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