Quoi! tandis que partout, ou sincères, ou feintes,
Des lâches, des pervers, les larmes et les plaintes
Consacrent leur Marat parmi les Immortel,
Et que, prêtre orgueilleux de cette idole vile,
Des franges du Parnasse un imprudent reptile
Vomit un hymne au pied de ses autels,
La vérité se tait! Dans sa bouche glacée,
Des liens de la peur sa langue embarrassée
Dérobe un juste hommage aux exploits glorieux!
Vivre est-il donc si doux? De quel prix est la vie,
Quand sous un joug honteux la pensée asservie,
Tremblante au fond du coeur, se cache à tous les yeux?
Non, non, je ne veux point t’honorer en silence,
Toi qui crus par ta mort ressusciter la France,
Et dévoua tes jours à punir des forfaits,
Le glaive arma ton bras, fille grande est sublime,
Pour faire honte aux dieux, pour préparer leur crime,
Quand d’un homme à ce monstre ils donnèrent leurs traits.
Le noir serpent, sorti de sa caverne impure,
A donc vu rompre enfin sous ta main ferme et sûre
Le venimeux tissu de ses jours abhorrés!
Aux entrailles du tigre, à ses dents homicides,
Tu vins redemander et les membres livides
Et le sang des humains qu’il avait dévorés!
Son oeil mourrant t’a vu, en ta superbe joie,
Féliciter ton bras et contempler ta proie.
Ton regard lui disait: » Va tyran furieux
Te baigner dans le sang fut tes seules délices,
Baigne-toi dans le tien et reconnais des dieux. »
La Grèce, ô fille illustre! admirant ton courage,
Epuiserait Paros pour placer ton image
Auprès d’Harmodius, auprès de son ami;
Et des choeurs sur ta tombe, en une sainte ivresse,
Chanteraient Némésis, la tardive déesse,
Qui frappe le méchant sur son trône endormi.
Mais la France à la hache abandonne ta tête,
C’est au monstre égorgé qu’on prépare une fête
Parmi ses compagnons tous digne de son sort.
Oh! quel noble dédain fit sourire ta bouche,
Quand un brigand, vengeur de ce brigand farouche
Crut te faire pâlir aux menaces de mort!
C’est lui qui dut pâlir, et tes juges sinistres,
Quand à leur tribunal, sans crainte et sans appui,
Ta douceur, ton langage et simple et magnanime
Leur apprit qu’en effet, tout-puissant qu’est le crime,
Qui renonce à la vie est plus puissant que lui.
Longtemps, sous les dehors d’une allégresse aimable,
Dans ses détours profonds ton âme impénétrable
Avait tenu cachés les destins du pervers.
Ainsi, dans le secret amassant la tempête,
Rit un beau ciel d’azur, qui cependant s’apprête
A foudroyer les monts, à soulever les mers.
Belle, jeune, brillante, aux bourreaux amenée,
Tu semblais t’avancer sur le char d’Hyménée;
Ton front resta paisible et ton regard serein.
Calme, sur l’échafaud, tu méprisas la rage
D’un peuple abject, servile et fécond en outrage,
Et qui se croit encore libre et souverain.
La vertu seule est libre. Honneur de notre histoire,
Notre immortel opprobre y vit avec ta gloire!
Seule, tu fus un homme, et vengeas les humains!
Et nous, ennuques vils, troupeau lâche et sans âme,
Nous savons répéter quelques plaintes de femme,
Mais le fer pèserait à nos débiles mains.
Un scélérat, de moins rampe dans cette fange.
La vertu t’applaudit; de sa mâle louange.
Entends, belle héroïne, entends l’auguste voix.
O Vertu! le poignard, seul espoir de la terre,
Est ton arme sacrée, alors que le tonnerre
Laisse régner le crime et le vend à ses lois.
André Chénier. Poète.